Journée mondiale contre la Traite des Personnes (30 juillet 2022) – Entretien avec Jean Claude Brunet, Ambassadeur itinérant sur les menaces criminelles transnationales et la lutte contre le trafic illicite des ALPC



La traite des êtres humains est-elle une menace croissante pour nos sociétés?

Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et le Bureau international du travail (OIT), il y a actuellement près de 25 millions de victimes – femmes, hommes et enfants – de ce trafic dans le monde à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. La traite des êtres humains est une violation flagrante de la dignité humaine et des droits fondamentaux, et cible en particulier les populations vulnérables telles que les migrants et les réfugiés. L’une des tendances les plus préoccupantes est la proportion croissante d’enfants parmi les victimes, qui a triplé en 15 ans, selon l’ONUDC. Ce crime générerait plus de 150 milliards de dollars par an dans le monde. Il est de plus en plus considéré comme un problème de sécurité mondiale car il alimente la corruption, la migration irrégulière et le terrorisme.

Avec la diffusion de la technologie à travers le monde, intensifiée par la pandémie de COVID-19 et la multiplication des plateformes en ligne, la traite des êtres humains s’est infiltrée dans le cyberespace. Internet et les plateformes numériques fournissent aux trafiquants de nombreux outils pour recruter, exploiter et surveiller leurs victimes. Les trafiquants peuvent désormais facilement organiser leur transport et leur hébergement, tromper les victimes et contacter des clients potentiels en ligne, mais aussi communiquer avec d’autres trafiquants.

Que fait la France à l’international?

Le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères s’engage à développer une coopération étroite avec les régions les plus touchées par la traite. Par exemple, il travaille sur un projet de soutien à la traite des êtres humains dans les pays du Golfe de Guinée mis en œuvre par Expertise France et cofinancé par l’Union européenne, et des projets en Europe du Sud-Est, en liaison avec l’Union européenne, l’ONUDC et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Par sa contribution à l’action menée dans ces deux régions d’origine de nombreuses victimes de la traite des êtres humains, la France soutient à la fois:

* Le renforcement des capacités des États pour les aider à lutter contre les réseaux de traite des êtres humains (cadres législatifs, rôle des coordinateurs nationaux, coopération régionale), et

* Action essentielle liée à la prévention, l’identification, la protection et l’intégration sociale des victimes, la communication et la sensibilisation. La France soutient également les associations de défense des victimes, les ONG et la société civile.

Pour sensibiliser le public au sort des victimes de la traite à travers le monde, la France participe activement à la campagne Cœur bleu menée par l’ONUDC, encourageant les États et les particuliers à soutenir et à s’impliquer dans les efforts visant à mettre fin à la traite des êtres humains. Dans le cadre de sa forte implication dans cette campagne, la France a joué un rôle clé dans l’adhésion de dix autres pays.

Au cours de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, la France a initié, avec le soutien de l’ONUDC et de l’Union Européenne, une discussion sur les moyens de renforcer l’action de la Campagne Cœur Bleu qui bénéficie désormais du soutien de plus de 30 des États qui font le plus pour mettre fin à la traite des êtres humains.

Nous souhaitons intensifier les efforts des États, la prise de conscience politique de l’urgence de discuter des solutions pratiques, en particulier face aux dangers de l’exploitation utilisant les nouvelles technologies, et de protéger les mineurs.

Dans le même temps, les ministres des Affaires étrangères français et suédois se sont engagés à renforcer la coopération entre nos deux pays afin de lutter contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Cet engagement bilatéral peut être vu dans la promotion active dans le monde entier de notre législation respective et du modèle abolitionniste pour lutter contre la prostitution à travers le monde, à travers des discussions bilatérales, régionales et multilatérales. Nous nous félicitons de l’intérêt croissant suscité par notre expérience dans la protection des victimes et leur intégration, ainsi que de l’importance que l’action doit prendre sur la demande et la prévention, l’éducation pour lutter efficacement et durablement contre la traite, conformément au Protocole des Nations Unies sur la traite des personnes.

Et au niveau national?

La France a fait de la lutte contre la traite une politique publique à part entière. Après avoir adopté son premier plan d’action national en 2014, la France met actuellement en œuvre son deuxième plan d’action national contre la traite des êtres humains pour la période 2019-2023. Avec ses 45 mesures, ce plan renforce l’action nationale, européenne et internationale pour lutter contre cette forme grave de criminalité. Il mobilise l’ensemble des ministères concernés, dans une approche globale, axée sur les actions liées à la prévention, à l’identification et à la protection des victimes, et aux méthodes répressives pour démanteler les réseaux, y compris avec l’utilisation des nouvelles technologies. Le plan d’action national met également l’accent sur les partenariats clés avec la société civile et le secteur privé.

Quelle action concrète la France mène-t-elle dans le contexte de la guerre en Ukraine?

La Présidence française du Conseil de l’Union européenne, en étroite collaboration avec l’Union européenne et le Coordinateur de l’UE pour la lutte contre la traite, a soutenu la mise en œuvre par l’Union européenne de mesures de prévention pratiques et opérationnelles. Il s’agissait d’un Plan commun de lutte contre la traite adopté le 11 mai 2022 pour venir en aide aux réfugiés d’Ukraine, prévenir et combattre la traite des êtres humains dont ils pourraient être la proie.

Ce plan comprend des mesures en matière de prévention, d’information par plusieurs moyens, dont les nouvelles technologies et les médias sociaux, de coordination de l’aide et d’identification des victimes et de toutes les personnes impliquées dans la traite. Par ailleurs, la France soutient l’action de l’OSCE pour lutter contre la traite des êtres humains en Ukraine.

Pour conclure, quel est le message de la Journée mondiale contre la Traite des personnes du 30 juillet?

La Journée mondiale contre la traite des personnes est l’occasion de souligner l’ampleur de ce fléau et d’agir. Cette Journée a été créée en 2013 lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies tenait une réunion de haut niveau pour évaluer le Plan d’action mondial de lutte contre la traite des êtres humains. Les États ont souhaité appeler la communauté internationale à prendre des mesures inébranlables sur cette question. Ils ont adopté la résolution A/RES/68 / 192 proclamant le 30 juillet Journée mondiale contre la traite des personnes. Cette résolution a déclaré qu’une telle journée était nécessaire “pour sensibiliser à la situation des victimes de la traite des êtres humains et pour la promotion et la protection de leurs droits.”