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Sommet de Paris

19 novembre 1991

Photo :  Sommet de Paris (1991) - service photographique de la Présidence de la République - tous droits réservés


Allocution de
M. François Mitterrand,
Président de la République,
à l'occasion du IVème sommet de la Francophonie
(Paris) - Mardi 19 novembre 1991


Mesdames et messieurs.

Je vous accueille au nom de la France. Je le fais avec joie et fierté comme il y a cinq ans lors du premier sommet de Paris.

J'adresse au Président Diouf nos chaleureux remerciements. Le travail effectué depuis Dakar a été considérable et c'est surtout à lui qu'on le doit. Depuis 1986, à chacune de nos rencontres, de nouveaux pays nous rejoignent pour partager l'ambition francophone. Nous étions quarante et un la première fois, nous sommes quarante-sept aujourd'hui.

L'espace francophone se déploie sur tous les continents, retrouve des solidarités anciennes, appelle des amitiés, marque le sentiment qu'un destin se partage aussi. Quand le monde s'interroge dans des bouleversements où l'espérance se mêle à l'inquiétude, chacun éprouve plus intensément l'urgence et la nécessité de se retrouver.

De tous les horizons, nous entendons le même appel quand s'effondre l'ordre terrible - mais l'ordre quand même - sur lequel la société internationale était fondée depuis la Seconde guerre mondiale. A l'est de l'Europe, la liberté a repris ses droits avec vigueur, les nations vivent leur indépendance. Des minorités s'expriment, des peuples souvent chargés d'histoire veulent compter à leur tour et parfois de nouveau. Il est de notre devoir de répondre à leur attente. Tout au long des années de plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la langue française. Sorte d'espérance à tenir, de liberté à préserver, avec le sentiment tenace qu'un jour ils retrouveraient les nations libres qui parlent la même langue. Tel est le sens, je pense, de l'arrivée parmi nous de la Bulgarie et de la Roumanie, que je salue, bien entendu, en votre nom. Les valeurs issues de ce qu'on appelait les "Lumières" l'emportent en Europe, dans cette Europe qui leur avait si hardiment donné naissance. Si l'on parle du Cambodge, comment ne pas se réjouir de le revoir parmi nous après une longue absence marquée par tant de souffrances et d'horreur. Il y a à peine un mois, j'ouvrais à Paris la Conférence de Paix qui a permis aux Cambodgiens de mettre fin à leur déchirement, de sceller leur réconciliation. Faut-il insister sur le rôle du prince Sihanouk qui était déjà il y a trente ans aux côtés du Président Senghor et du Président Diori Hamani pour souhaiter la création d'une communauté d'expression française et inspirer ainsi nos premiers choix. Je salue également le Cameroun et le Laos qui, hier observateurs, ont résolu de s'associer pleinement à nos travaux. La présence du Président Hraoui signifie aussi que le Liban en marche, je l'espère, vers la réconciliation de ses citoyens retrouve la place qui lui est due dans la reconquête de sa souveraineté, indispensable pour lui comme pour tout autre.

Je les salue de la même façon pour que l'on sache bien que tous ceux qui nous ont rejoints sont parmi nous les bienvenus.

La francophonie est un lieu d'accueil. Notamment pour tous ceux qui, coupés de l'héritage commun, veulent reconquérir cette part de leur identité.

Or, il n'est de véritable identité que fondée sur la culture, vous le savez bien. A ceux qui refusent la tentation du repli sur soi, nous pouvons exprimer notre message universel. Riche d'un grand passé de tradition, et aussi de sa diversité, la francophonie est, et doit être, un espace de création. Fière de ses réussites technologiques qui ne sont pas minces, ouverte à la liberté de rechercher et d'entreprendre, elle est et elle doit être un espace de développement.

Mêlée de civilisations multiples elle est, ou elle doit être, attentive aux justes exigences de tous et d'abord de ceux qu'on appelle les pays du Sud, d'une large part du tiers monde qui souffre, vous le savez, et qui mérite l'Internationale de la Solidarité.

Les mutations que connaît la société ne nous concernent pas seulement parce qu'elles modifient les frontières de l'univers francophone, ce qui est fort heureux, elles font aussi sentir leurs effets au coeur même de cet univers comme en témoignent les problèmes auxquels l'Afrique est confrontée. Nombre de pays africains se sont engagés dans un vaste mouvement de réformes démocratiques. Chacun saura, j'en suis convaincu, fixer en toute indépendance les modalités et le rythme qui conviennent dès lors que la direction est prise.

La France soutient, faut-il le répéter, cette évolution qu'elle croit nécessaire parce qu'elle croit aussi en la valeur universelle de la démocratie. En améliorant la transparence du fonctionnement de l'Etat, la démocratie, j'en suis sûr, rend plus facile l'engagement de réformes économiques et financières capables de promouvoir la croissance et de mobiliser la communauté internationale. Le respect de règles juridiques claires, un droit des affaires adapté, une gestion améliorée des collectivités locales, un environnement plus sûr pour les entreprises assurent et multiplient les capacités d'initiatives, à condition de s'attaquer en même temps à la formation, la formation des femmes et des hommes, de préparer la jeunesse à son avenir, et cet avenir pourrait-il lui sourire à cette jeunesse, s'il était celui de l'épanouissement, de la liberté et de la pleine responsabilité. Cet accompagnement indispensable ne réussira, chacun l'admet, que s'il est soutenu par les pays plus fortunés, plus riches ; nous y travaillons.

Mais, je crois pouvoir le dire, trop de distorsions existent dans l'effort de solidarité. Trop de pays industrialisés ne consacrent qu'une part dérisoire de leurs richesses à l'aide et au développement et continuent de refuser tout engagement chiffré. Ce n'est pas le cas des pays de la communauté francophone qui comptent, quant à eux, parmi les plus disponibles et les plus ouverts à cette solidarité active. La France, de son côté, demeure, je dois le dire, la première du monde de ces grands pays industriels pour sa part d'aide publique au développement. Eh bien, veillons à la mise en oeuvre effective et rapide des orientations retenues au Sommet de Londres, - Sommet de Londres qui était celui des sept grands pays industrialisés -, car ses orientations devraient se traduire par un allégement de la dette des plus pauvres de 50% à 80% au lieu d'un tiers aujourd'hui.

Je considère que c'est un honneur pour mon pays que d'avoir été à l'origine de toutes les mesures prises depuis bientôt dix ans pour la réduction ou l'abolition de la dette et pour l'organisation économique et financière plus adaptée à la progression du Sud, sans nuire en quoi que ce soit, au contraire, aux intérêts du Nord. J'insiste sur cette exigence auprès de nos partenaires et je souhaite que soit accompli un effort supplémentaire en direction des pays dits, c'est un langage un peu obscur souvent, "à revenus intermédiaires". Ce ne sont pas les plus pauvres mais ils ne sont pas riches, ils ont de grands besoins, ils sont souvent très endettés. Après avoir aboli notre créance publique sur quelque trente-cinq pays d'Afrique et quelques autres, nous avons, nous Français, - je parle pour mon pays, d'autres s'exprimeront à cette tribune et auront à dire des choses extrêmement positives -, décidé pour quatre autres pays à revenus intermédiaires de les associer à ceux que nous avons décidé de soutenir sans réserve et nous aimerions aller plus loin mais encore faut-il que l'effort soit élargi à ceux qui, avec nous, représentent aujourd'hui les plus riches.

Je pense que, vraiment, les pays créanciers doivent offrir la possibilité aussi de convertir la dette en actions de toutes sortes en faveur de la santé, de l'alphabétisation, de la protection de l'environnement, pour ne citer que quelques tâches majeures.

Ces ressources nouvelles, il faut bien sûr les rechercher aussi quand elles existent dans les pays en développement eux-mêmes et nombreux sont ceux qui sont loin de manquer de ressources, que dis-je, qui disposent de ressources naturelles considérables et de véritables ressources humaines qui simplement ne sont pas exploitées, mises en valeur au service de tous autant qu'il conviendrait, faute de moyens au point de départ. Sinon, comment attirerait-on des investissements étrangers là où les capitaux nationaux ne peuvent s'investir ; d'où l'importance de mesures favorables partout à l'épargne locale et à son investissement sur place. Eh bien, sur toutes ces questions, mesdames et messieurs, je souhaite que nous puissions approfondir notre réflexion commune et c'est pourquoi je suis très sensible à votre présence pour ces jours de rencontres, de discussions et de travail. De chaque expérience doit naître un profit pour tous.

Encore faut-il que ces expériences soient communiquées à l'ensemble. Nous parlons tous la même langue, nous pouvons nous comprendre immédiatement, sans interprète, la communication est donc directe, quelle économie de moyens surtout pour l'intelligence et la compréhension ! Nous approchons les mêmes modes de culture, encore une commodité qui nous permet mieux que d'autres, je pense, d'appréhender les difficiles problèmes du jour.

En ouvrant la séance inaugurale de notre quatrième Sommet considérons le chemin parcouru. Nous n'avons pas seulement échangé nos points de vue sur tous les problèmes, sur la surface de la planète et nous le ferons encore cet après-midi. Nous avons appris en certaines grandes circonstances à parler d'une seule voix sur la scène internationale.

Par exemple, nos ministres de l'environnement ont pu, lors de leur conférence à Tunis en avril dernier, élaborer une stratégie commune en vue de la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement prévue à Rio de Janeiro en juin 1992. Nous travaillerons à renforcer cette solidarité. La réforme institutionnelle pour nous-mêmes, que nous nous apprêtons à adopter y aidera. Je pense à la mise en place d'une conférence ministérielle annuelle, unique, d'un conseil permanent de la francophonie, lequel constituera la pièce maîtresse de notre nouvel édifice. L'Agence de Coopération culturelle et technique, l'ACCT - vous retrouverez souvent cet énoncé, ce sigle - lui fournira la logistique et l'expertise des comités de programme l'éclairera de leurs avis.

Conformément aux priorités définies, arrêtées à Dakar, je suis heureux de constater la réalité de notre coopération pour le développement qui se traduit par un plan quinquennal nourri d'actions concrètes et je n'ai pas besoin de souligner l'importance politique des programmes de coopération juridique et judiciaire. Voilà une action exemplaire, elle a été conduite, poursuivons la. Quant à l'éducation, force est de reconnaître que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espérances et des enjeux.

Je salue de belles réussites, je vais en signaler d'exceptionnelles à tous égards, celle de l'université d'Alexandrie que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec le Président Diouf et le Président Moubarak en particulier. La France est toute disposée à apporter un soutien accru à deux grands établissements africains pour qu'ils deviennent des établissements supérieurs francophones à vocation régionale, l'institut de Saint-Louis au Sénégal, l'Institut de recherches agronomiques de Côte-d'Ivoire à Adiopodoumé. 

De manière plus générale il conviendra d'accorder une plus grande attention à l'alphabétisation et à la formation professionnelle, d'inventer de nouvelles méthodes d'apprentissage en nous appuyant davantage sur les techniques modernes. A cet égard, la création du centre international de formation à distance me semble prometteuse. Mon pays qui dispose d'une bonne expérience, précisément avec le programme Olympus, avec le travail du centre national d'enseignement à distance, contribuera à la mise en place progressive d'une véritable université audiovisuelle francophone, qui utilisera les satellites, rayonnera à la fois sur les continents d'Europe et d'Afrique. Les réalisations de ce que l'on appelle AUPELF-UREF pour la recherche universitaire justifient, je le crois vraiment, la confiance que nous avons mise en oeuvre lors de notre dernière rencontre de Dakar.

Quant à la communication, elle joue, évidemment, là comme ailleurs, un rôle déterminant. Les francophones sauront se donner les moyens de se faire entendre. Jamais la liberté ne naîtra de l'uniformité. Nous nous sommes engagés très fortement en faveur de la diffusion en Afrique des programmes de TV5 Europe, enrichis d'émissions en provenance du Sud. Cela préfigure l'émergence d'une véritable chaîne régionale africaine. Car c'est de cela aussi que l'Afrique à besoin : disposer d'un outil qui lui soit propre, qui exprime sa vision du continent d'abord et de la marche du monde, qui témoigne de sa créativité maintenue, renouvelée et toujours enrichie.

La France, de son côté, va renforcer considérablement sa participation au fonds de soutien de l'agence de coopération technique et encouragera de la sorte la production d'images du Sud en fédérant notamment, les aides existantes, en créant une fondation "Ecrans du Sud" qui associera des professionnels originaires des pays du Sud. Une coopération pourra alors s'instaurer entre cette fondation et l'Agence.

Enfin d'autres secteurs qui touchent à la vie quotidienne méritent notre attention. Les endémies dont souffre le continent africain, le sida, bien d'autres affections à la santé des hommes, représentent tant de douleurs, mais aussi de défaites économiques, que nous avons le devoir de les réduire, de tout faire pour les guérir. Plusieurs initiatives ont été prises. Le ministère français de la coopération a décidé de faire de 1992 l'année de la santé. Un grand colloque sur les technologies médicales sera organisé à la Villette. Des médecins français élaborent d'importants projets comme l'Institut francophone pour le développement de l'éducation sanitaire.

Il nous a fallu, au cours de ces quelques années, éprouver nos méthodes de travail. Nous sommes, je le pense, sur la bonne voie. Je souhaite que nous puissions aller plus loin, afin de mieux affirmer la responsabilité politique des Sommets. Soyons clairs ! En décidant tous ensemble des grandes lignes de notre coopération, il faut que nous évitions le saupoudrage des crédits, finalement peu efficace, pour mieux concentrer nos moyens sur les programmes essentiels que nous avons la charge précisément de définir.

A Dakar, nous avions déjà affirmé cette volonté, nous avons avancé. La francophonie d'autre part ne se limite pas à un dialogue entre les Etats. Elle doit dépasser les bureaucraties, entraîner la participation des collectivités décentralisées, de tous ceux qui veulent faire bouger partout les choses.

Pour aider ce mouvement, un statut des organisations non gouvernementales permettra de mieux organiser leurs relations avec nos instances, cela devient urgent. Le cadre multilatéral dans lequel nous travaillons, permet aussi de favoriser les échanges sud-sud et de réaliser les projets qui intéressent plusieurs pays voisins. Ainsi la francophonie apporte son concours à l'émergence d'entités régionales dont les dimensions répondront aux exigences de la modernité. Exemple concret : la création de centres régionaux d'enseignement spécialisé en agriculture, l'installation à Hanoï d'un institut d'informatique, demain, d'une cinémathèque africaine à Ouagadougou. Le fonds multilatéral unique que nous créons procède de la même volonté. En regroupant des crédits jusqu'à présent liés, il facilitera ces opérations.

Au cours de cet exposé d'ouverture qui en précédera quelques autres, j'ai voulu non seulement rappeler l'esprit de la francophonie, son intérêt et son utilité, mais aussi énumérer, citer comme cela au passage, un certain nombre de réalisations qui montreront qu'en l'espace de peu de temps, une rude besogne a été accomplie par ceux qui en avaient la charge.

Qu'est-ce que vous voulez, la francophonie, vous la vivez ! Ce sont des exemples vécus, de lents cheminements, une aventure que nous avons choisie de partager. Nos mondes sont différents, les continents, la géographie, nos histoires ne se ressemblent pas. Car, si nous sommes réunis par et autour de la francophonie, la francophonie ce n'est pas le français, même si nous avons l'orgueil de penser que c'est le tronc à partir duquel s'est constitué ce vaste front de cultures diverses.

Mais c'est aussi la présence conjuguée, l'échange, le langage qui se diversifie, qui s'enrichit au passage, grâce à la francophonie. Elle est composée du français mais aussi de bien des aspects, de bien des usages et de bien des expressions de modes de pensée de votre propre langue originelle, que dis-je, de vos langues qui ont le plus grand besoin souvent d'une langue véhiculaire. Et puis, les uns sont plus riches, les autres sont plus pauvres, ou pratiquant des religions souvent différentes, nos modes d'expression, nos intérêts immédiats sont parfois opposés, faisons en sorte qu'ils se découvrent complémentaires. C'est une ambition difficile à réaliser, en tout cas sans votre concours elle serait impossible. Que ces différences, loin de nous séparer, nous rassemblent. Voyez ce que nous sommes ce matin dans cette salle, au point de départ d'une vaste confrontation entre quarante-sept pays répartis sur tous les continents !

Voyez ce que nous sommes ! Nous nous sentons déjà appartenir au même creuset, nos origines parfois se confondent, nous nous prêtons assistance, nous sommes amis, dans un monde où tant de querelles, parfois de guerres, en tout cas de dissentiments, occupent le devant de la scène. Nous, nous sommes là ! Nous discutons d'intérêts qui nous sont communs, dans une langue qui nous est commune, et nous construisons une histoire qui deviendra, plus encore qu'elle ne le fut commune, ayant conscience du rôle que nous sommes appelés à jouer. Il existe peu de communautés de cette sorte, il pourrait en exister combien ? Deux, trois autres ! Nous avons pris une belle cadence, ne la perdons pas et cherchons au cours de ces journées à nourrir le contenu d'un vaste programme, celui de la francophonie qui nous vaut, et je répète ma fierté, votre présence à vous tous à Paris.

Je vais maintenant vous souhaiter un bon travail, en vous disant la joie que j'aurai, pendant les heures prochaines, à vous rencontrer de nouveau. Merci !




ã Présidence de la République - Service photographique.

19 novembre 1991 - Sommet de Paris.
Photographie de famille dans la salle des fêtes du Palais de l'Elysée



ALLOCUTION DE

MONSIEUR FRANÇOIS MITTERRAND

PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

A L'OCCASION DU 4EME SOMMET

DE LA FRANCOPHONIE

Palais de Chaillot - Paris - Mardi 19 novembre 1991



Mesdames et messieurs.

Je vous accueille au nom de la France. Je le fais avec joie et fierté comme il y a cinq ans lors du premier sommet de Paris.

J'adresse au Président Diouf nos chaleureux remerciements. Le travail effectué depuis Dakar a été considérable et c'est surtout à lui qu'on le doit. Depuis 1986, à chacune de nos rencontres, de nouveaux pays nous rejoignent pour partager l'ambition francophone. Nous étions quarante et un la première fois, nous sommes quarante-sept aujourd'hui.

L'espace francophone se déploie sur tous les continents, retrouve des solidarités anciennes, appelle des amitiés, marque le sentiment qu'un destin se partage aussi. Quand le monde s'interroge dans des bouleversements où l'espérance se mêle à l'inquiétude, chacun éprouve plus intensément l'urgence et la nécessité de se retrouver.

De tous les horizons, nous entendons le même appel quand s'effondre l'ordre terrible - mais l'ordre quand même - sur lequel la société internationale était fondée depuis la Seconde guerre mondiale. A l'est de l'Europe, la liberté a repris ses droits avec vigueur, les nations vivent leur indépendance. Des minorités s'expriment, des peuples souvent chargés d'histoire veulent compter à leur tour et parfois de nouveau. Il est de notre devoir de répondre à leur attente. Tout au long des années de plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la langue française. Sorte d'espérance à tenir, de liberté à préserver, avec le sentiment tenace qu'un jour ils retrouveraient les nations libres qui parlent la même langue. Tel est le sens, je pense, de l'arrivée parmi nous de la Bulgarie et de la Roumanie, que je salue, bien entendu, en votre nom. Les valeurs issues de ce qu'on appelait les "Lumières" l'emportent en Europe, dans cette Europe qui leur avait si hardiment donné naissance. Si l'on parle du Cambodge, comment ne pas se réjouir de le revoir parmi nous après une longue absence marquée par tant de souffrances et d'horreur. Il y a à peine un mois, j'ouvrais à Paris la Conférence de Paix qui a permis aux Cambodgiens de mettre fin à leur déchirement, de sceller leur réconciliation. Faut-il insister sur le rôle du prince Sihanouk qui était déjà il y a trente ans aux côtés du Président Senghor et du Président Diori Hamani pour souhaiter la création d'une communauté d'expression française et inspirer ainsi nos premiers choix. Je salue également le Cameroun et le Laos qui, hier observateurs, ont résolu de s'associer pleinement à nos travaux. La présence du Président Hraoui signifie aussi que le Liban en marche, je l'espère, vers la réconciliation de ses citoyens retrouve la place qui lui est due dans la reconquête de sa souveraineté, indispensable pour lui comme pour tout autre.

Je les salue de la même façon pour que l'on sache bien que tous ceux qui nous ont rejoints sont parmi nous les bienvenus.

La francophonie est un lieu d'accueil. Notamment pour tous ceux qui, coupés de l'héritage commun, veulent reconquérir cette part de leur identité.

Or, il n'est de véritable identité que fondée sur la culture, vous le savez bien. A ceux qui refusent la tentation du repli sur soi, nous pouvons exprimer notre message universel. Riche d'un grand passé de tradition, et aussi de sa diversité, la francophonie est, et doit être, un espace de création. Fière de ses réussites technologiques qui ne sont pas minces, ouverte à la liberté de rechercher et d'entreprendre, elle est et elle doit être un espace de développement.

Mêlée de civilisations multiples elle est, ou elle doit être, attentive aux justes exigences de tous et d'abord de ceux qu'on appelle les pays du Sud, d'une large part du tiers monde qui souffre, vous le savez, et qui mérite l'Internationale de la Solidarité.

Les mutations que connaît la société ne nous concernent pas seulement parce qu'elles modifient les frontières de l'univers francophone, ce qui est fort heureux, elles font aussi sentir leurs effets au coeur même de cet univers comme en témoignent les problèmes auxquels l'Afrique est confrontée. Nombre de pays africains se sont engagés dans un vaste mouvement de réformes démocratiques. Chacun saura, j'en suis convaincu, fixer en toute indépendance les modalités et le rythme qui conviennent dès lors que la direction est prise.

La France soutient, faut-il le répéter, cette évolution qu'elle croit nécessaire parce qu'elle croit aussi en la valeur universelle de la démocratie. En améliorant la transparence du fonctionnement de l'Etat, la démocratie, j'en suis sûr, rend plus facile l'engagement de réformes économiques et financières capables de promouvoir la croissance et de mobiliser la communauté internationale. Le respect de règles juridiques claires, un droit des affaires adapté, une gestion améliorée des collectivités locales, un environnement plus sûr pour les entreprises assurent et multiplient les capacités d'initiatives, à condition de s'attaquer en même temps à la formation, la formation des femmes et des hommes, de préparer la jeunesse à son avenir, et cet avenir pourrait-il lui sourire à cette jeunesse, s'il était celui de l'épanouissement, de la liberté et de la pleine responsabilité. Cet accompagnement indispensable ne réussira, chacun l'admet, que s'il est soutenu par les pays plus fortunés, plus riches ; nous y travaillons.

Mais, je crois pouvoir le dire, trop de distorsions existent dans l'effort de solidarité. Trop de pays industrialisés ne consacrent qu'une part dérisoire de leurs richesses à l'aide et au développement et continuent de refuser tout engagement chiffré. Ce n'est pas le cas des pays de la communauté francophone qui comptent, quant à eux, parmi les plus disponibles et les plus ouverts à cette solidarité active. La France, de son côté, demeure, je dois le dire, la première du monde de ces grands pays industriels pour sa part d'aide publique au développement. Eh bien, veillons à la mise en oeuvre effective et rapide des orientations retenues au Sommet de Londres, - Sommet de Londres qui était celui des sept grands pays industrialisés -, car ses orientations devraient se traduire par un allégement de la dette des plus pauvres de 50% à 80% au lieu d'un tiers aujourd'hui.

Je considère que c'est un honneur pour mon pays que d'avoir été à l'origine de toutes les mesures prises depuis bientôt dix ans pour la réduction ou l'abolition de la dette et pour l'organisation économique et financière plus adaptée à la progression du Sud, sans nuire en quoi que ce soit, au contraire, aux intérêts du Nord. J'insiste sur cette exigence auprès de nos partenaires et je souhaite que soit accompli un effort supplémentaire en direction des pays dits, c'est un langage un peu obscur souvent, "à revenus intermédiaires". Ce ne sont pas les plus pauvres mais ils ne sont pas riches, ils ont de grands besoins, ils sont souvent très endettés. Après avoir aboli notre créance publique sur quelque trente-cinq pays d'Afrique et quelques autres, nous avons, nous Français, - je parle pour mon pays, d'autres s'exprimeront à cette tribune et auront à dire des choses extrêmement positives -, décidé pour quatre autres pays à revenus intermédiaires de les associer à ceux que nous avons décidé de soutenir sans réserve et nous aimerions aller plus loin mais encore faut-il que l'effort soit élargi à ceux qui, avec nous, représentent aujourd'hui les plus riches.

Je pense que, vraiment, les pays créanciers doivent offrir la possibilité aussi de convertir la dette en actions de toutes sortes en faveur de la santé, de l'alphabétisation, de la protection de l'environnement, pour ne citer que quelques tâches majeures.

Ces ressources nouvelles, il faut bien sûr les rechercher aussi quand elles existent dans les pays en développement eux-mêmes et nombreux sont ceux qui sont loin de manquer de ressources, que dis-je, qui disposent de ressources naturelles considérables et de véritables ressources humaines qui simplement ne sont pas exploitées, mises en valeur au service de tous autant qu'il conviendrait, faute de moyens au point de départ. Sinon, comment attirerait-on des investissements étrangers là où les capitaux nationaux ne peuvent s'investir ; d'où l'importance de mesures favorables partout à l'épargne locale et à son investissement sur place. Eh bien, sur toutes ces questions, mesdames et messieurs, je souhaite que nous puissions approfondir notre réflexion commune et c'est pourquoi je suis très sensible à votre présence pour ces jours de rencontres, de discussions et de travail. De chaque expérience doit naître un profit pour tous.

Encore faut-il que ces expériences soient communiquées à l'ensemble. Nous parlons tous la même langue, nous pouvons nous comprendre immédiatement, sans interprète, la communication est donc directe, quelle économie de moyens surtout pour l'intelligence et la compréhension ! Nous approchons les mêmes modes de culture, encore une commodité qui nous permet mieux que d'autres, je pense, d'appréhender les difficiles problèmes du jour.

En ouvrant la séance inaugurale de notre quatrième Sommet considérons le chemin parcouru. Nous n'avons pas seulement échangé nos points de vue sur tous les problèmes, sur la surface de la planète et nous le ferons encore cet après-midi. Nous avons appris en certaines grandes circonstances à parler d'une seule voix sur la scène internationale.

Par exemple, nos ministres de l'environnement ont pu, lors de leur conférence à Tunis en avril dernier, élaborer une stratégie commune en vue de la conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement prévue à Rio de Janeiro en juin 1992. Nous travaillerons à renforcer cette solidarité. La réforme institutionnelle pour nous-mêmes, que nous nous apprêtons à adopter y aidera. Je pense à la mise en place d'une conférence ministérielle annuelle, unique, d'un conseil permanent de la francophonie, lequel constituera la pièce maîtresse de notre nouvel édifice. L'Agence de Coopération culturelle et technique, l'ACCT - vous retrouverez souvent cet énoncé, ce sigle - lui fournira la logistique et l'expertise des comités de programme l'éclairera de leurs avis.

Conformément aux priorités définies, arrêtées à Dakar, je suis heureux de constater la réalité de notre coopération pour le développement qui se traduit par un plan quinquennal nourri d'actions concrètes et je n'ai pas besoin de souligner l'importance politique des programmes de coopération juridique et judiciaire. Voilà une action exemplaire, elle a été conduite, poursuivons la. Quant à l'éducation, force est de reconnaître que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espérances et des enjeux.

Je salue de belles réussites, je vais en signaler d'exceptionnelles à tous égards, celle de l'université d'Alexandrie que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec le Président Diouf et le Président Moubarak en particulier. La France est toute disposée à apporter un soutien accru à deux grands établissements africains pour qu'ils deviennent des établissements supérieurs francophones à vocation régionale, l'institut de Saint-Louis au Sénégal, l'Institut de recherches agronomiques de Côte-d'Ivoire à Adiopodoumé. 

De manière plus générale il conviendra d'accorder une plus grande attention à l'alphabétisation et à la formation professionnelle, d'inventer de nouvelles méthodes d'apprentissage en nous appuyant davantage sur les techniques modernes. A cet égard, la création du centre international de formation à distance me semble prometteuse. Mon pays qui dispose d'une bonne expérience, précisément avec le programme Olympus, avec le travail du centre national d'enseignement à distance, contribuera à la mise en place progressive d'une véritable université audiovisuelle francophone, qui utilisera les satellites, rayonnera à la fois sur les continents d'Europe et d'Afrique. Les réalisations de ce que l'on appelle AUPELF-UREF pour la recherche universitaire justifient, je le crois vraiment, la confiance que nous avons mise en oeuvre lors de notre dernière rencontre de Dakar.

Quant à la communication, elle joue, évidemment, là comme ailleurs, un rôle déterminant. Les francophones sauront se donner les moyens de se faire entendre. Jamais la liberté ne naîtra de l'uniformité. Nous nous sommes engagés très fortement en faveur de la diffusion en Afrique des programmes de TV5 Europe, enrichis d'émissions en provenance du Sud. Cela préfigure l'émergence d'une véritable chaîne régionale africaine. Car c'est de cela aussi que l'Afrique à besoin : disposer d'un outil qui lui soit propre, qui exprime sa vision du continent d'abord et de la marche du monde, qui témoigne de sa créativité maintenue, renouvelée et toujours enrichie.

La France, de son côté, va renforcer considérablement sa participation au fonds de soutien de l'agence de coopération technique et encouragera de la sorte la production d'images du Sud en fédérant notamment, les aides existantes, en créant une fondation "Ecrans du Sud" qui associera des professionnels originaires des pays du Sud. Une coopération pourra alors s'instaurer entre cette fondation et l'Agence.

Enfin d'autres secteurs qui touchent à la vie quotidienne méritent notre attention. Les endémies dont souffre le continent africain, le sida, bien d'autres affections à la santé des hommes, représentent tant de douleurs, mais aussi de défaites économiques, que nous avons le devoir de les réduire, de tout faire pour les guérir. Plusieurs initiatives ont été prises. Le ministère français de la coopération a décidé de faire de 1992 l'année de la santé. Un grand colloque sur les technologies médicales sera organisé à la Villette. Des médecins français élaborent d'importants projets comme l'Institut francophone pour le développement de l'éducation sanitaire.

Il nous a fallu, au cours de ces quelques années, éprouver nos méthodes de travail. Nous sommes, je le pense, sur la bonne voie. Je souhaite que nous puissions aller plus loin, afin de mieux affirmer la responsabilité politique des Sommets. Soyons clairs ! En décidant tous ensemble des grandes lignes de notre coopération, il faut que nous évitions le saupoudrage des crédits, finalement peu efficace, pour mieux concentrer nos moyens sur les programmes essentiels que nous avons la charge précisément de définir.

A Dakar, nous avions déjà affirmé cette volonté, nous avons avancé. La francophonie d'autre part ne se limite pas à un dialogue entre les Etats. Elle doit dépasser les bureaucraties, entraîner la participation des collectivités décentralisées, de tous ceux qui veulent faire bouger partout les choses.

Pour aider ce mouvement, un statut des organisations non gouvernementales permettra de mieux organiser leurs relations avec nos instances, cela devient urgent. Le cadre multilatéral dans lequel nous travaillons, permet aussi de favoriser les échanges sud-sud et de réaliser les projets qui intéressent plusieurs pays voisins. Ainsi la francophonie apporte son concours à l'émergence d'entités régionales dont les dimensions répondront aux exigences de la modernité. Exemple concret : la création de centres régionaux d'enseignement spécialisé en agriculture, l'installation à Hanoï d'un institut d'informatique, demain, d'une cinémathèque africaine à Ouagadougou. Le fonds multilatéral unique que nous créons procède de la même volonté. En regroupant des crédits jusqu'à présent liés, il facilitera ces opérations.

Au cours de cet exposé d'ouverture qui en précédera quelques autres, j'ai voulu non seulement rappeler l'esprit de la francophonie, son intérêt et son utilité, mais aussi énumérer, citer comme cela au passage, un certain nombre de réalisations qui montreront qu'en l'espace de peu de temps, une rude besogne a été accomplie par ceux qui en avaient la charge.

Qu'est-ce que vous voulez, la francophonie, vous la vivez ! Ce sont des exemples vécus, de lents cheminements, une aventure que nous avons choisie de partager. Nos mondes sont différents, les continents, la géographie, nos histoires ne se ressemblent pas. Car, si nous sommes réunis par et autour de la francophonie, la francophonie ce n'est pas le français, même si nous avons l'orgueil de penser que c'est le tronc à partir duquel s'est constitué ce vaste front de cultures diverses.

Mais c'est aussi la présence conjuguée, l'échange, le langage qui se diversifie, qui s'enrichit au passage, grâce à la francophonie. Elle est composée du français mais aussi de bien des aspects, de bien des usages et de bien des expressions de modes de pensée de votre propre langue originelle, que dis-je, de vos langues qui ont le plus grand besoin souvent d'une langue véhiculaire. Et puis, les uns sont plus riches, les autres sont plus pauvres, ou pratiquant des religions souvent différentes, nos modes d'expression, nos intérêts immédiats sont parfois opposés, faisons en sorte qu'ils se découvrent complémentaires. C'est une ambition difficile à réaliser, en tout cas sans votre concours elle serait impossible. Que ces différences, loin de nous séparer, nous rassemblent. Voyez ce que nous sommes ce matin dans cette salle, au point de départ d'une vaste confrontation entre quarante-sept pays répartis sur tous les continents !

Voyez ce que nous sommes ! Nous nous sentons déjà appartenir au même creuset, nos origines parfois se confondent, nous nous prêtons assistance, nous sommes amis, dans un monde où tant de querelles, parfois de guerres, en tout cas de dissentiments, occupent le devant de la scène. Nous, nous sommes là ! Nous discutons d'intérêts qui nous sont communs, dans une langue qui nous est commune, et nous construisons une histoire qui deviendra, plus encore qu'elle ne le fut commune, ayant conscience du rôle que nous sommes appelés à jouer. Il existe peu de communautés de cette sorte, il pourrait en exister combien ? Deux, trois autres ! Nous avons pris une belle cadence, ne la perdons pas et cherchons au cours de ces journées à nourrir le contenu d'un vaste programme, celui de la francophonie qui nous vaut, et je répète ma fierté, votre présence à vous tous à Paris.

Je vais maintenant vous souhaiter un bon travail, en vous disant la joie que j'aurai, pendant les heures prochaines, à vous rencontrer de nouveau. Merci !