Sommet de Paris
19 novembre 1991
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Allocution de
M. François Mitterrand,
Président de la République,
à l'occasion du IVème sommet de la Francophonie
(Paris) - Mardi 19 novembre 1991
Mesdames et messieurs.
Je vous accueille au nom de la France. Je le fais avec joie et
fierté comme il y a cinq ans lors du premier sommet de
Paris.
J'adresse au Président Diouf nos chaleureux remerciements.
Le travail effectué depuis Dakar a été considérable
et c'est surtout à lui qu'on le doit. Depuis 1986, à
chacune de nos rencontres, de nouveaux pays nous rejoignent pour
partager l'ambition francophone. Nous étions quarante et
un la première fois, nous sommes quarante-sept aujourd'hui.
L'espace francophone se déploie sur tous les continents,
retrouve des solidarités anciennes, appelle des amitiés,
marque le sentiment qu'un destin se partage aussi. Quand le monde
s'interroge dans des bouleversements où l'espérance
se mêle à l'inquiétude, chacun éprouve
plus intensément l'urgence et la nécessité
de se retrouver.
De tous les horizons, nous entendons le même appel quand
s'effondre l'ordre terrible - mais l'ordre quand même -
sur lequel la société internationale était
fondée depuis la Seconde guerre mondiale. A l'est de l'Europe,
la liberté a repris ses droits avec vigueur, les nations
vivent leur indépendance. Des minorités s'expriment,
des peuples souvent chargés d'histoire veulent compter
à leur tour et parfois de nouveau. Il est de notre devoir
de répondre à leur attente. Tout au long des années
de plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la langue
française. Sorte d'espérance à tenir, de
liberté à préserver, avec le sentiment tenace
qu'un jour ils retrouveraient les nations libres qui parlent la
même langue. Tel est le sens, je pense, de l'arrivée
parmi nous de la Bulgarie et de la Roumanie, que je salue, bien
entendu, en votre nom. Les valeurs issues de ce qu'on appelait
les "Lumières" l'emportent en Europe, dans cette Europe
qui leur avait si hardiment donné naissance. Si l'on parle
du Cambodge, comment ne pas se réjouir de le revoir parmi
nous après une longue absence marquée par tant de
souffrances et d'horreur. Il y a à peine un mois, j'ouvrais
à Paris la Conférence de Paix qui a permis aux Cambodgiens
de mettre fin à leur déchirement, de sceller leur
réconciliation. Faut-il insister sur le rôle du prince
Sihanouk qui était déjà il y a trente ans
aux côtés du Président Senghor et du Président
Diori Hamani pour souhaiter la création d'une communauté
d'expression française et inspirer ainsi nos premiers choix.
Je salue également le Cameroun et le Laos qui, hier observateurs,
ont résolu de s'associer pleinement à nos travaux.
La présence du Président Hraoui signifie aussi que
le Liban en marche, je l'espère, vers la réconciliation
de ses citoyens retrouve la place qui lui est due dans la reconquête
de sa souveraineté, indispensable pour lui comme pour tout
autre.
Je les salue de la même façon pour que l'on sache
bien que tous ceux qui nous ont rejoints sont parmi nous les bienvenus.
La francophonie est un lieu d'accueil. Notamment pour tous ceux
qui, coupés de l'héritage commun, veulent reconquérir
cette part de leur identité.
Or, il n'est de véritable identité que fondée
sur la culture, vous le savez bien. A ceux qui refusent la tentation
du repli sur soi, nous pouvons exprimer notre message universel.
Riche d'un grand passé de tradition, et aussi de sa diversité,
la francophonie est, et doit être, un espace de création.
Fière de ses réussites technologiques qui ne sont
pas minces, ouverte à la liberté de rechercher et
d'entreprendre, elle est et elle doit être un espace de
développement.
Mêlée de civilisations multiples elle est, ou elle
doit être, attentive aux justes exigences de tous et d'abord
de ceux qu'on appelle les pays du Sud, d'une large part du tiers
monde qui souffre, vous le savez, et qui mérite l'Internationale
de la Solidarité.
Les mutations que connaît la société ne nous
concernent pas seulement parce qu'elles modifient les frontières
de l'univers francophone, ce qui est fort heureux, elles font
aussi sentir leurs effets au coeur même de cet univers comme
en témoignent les problèmes auxquels l'Afrique est
confrontée. Nombre de pays africains se sont engagés
dans un vaste mouvement de réformes démocratiques.
Chacun saura, j'en suis convaincu, fixer en toute indépendance
les modalités et le rythme qui conviennent dès lors
que la direction est prise.
La France soutient, faut-il le répéter, cette évolution
qu'elle croit nécessaire parce qu'elle croit aussi en la
valeur universelle de la démocratie. En améliorant
la transparence du fonctionnement de l'Etat, la démocratie,
j'en suis sûr, rend plus facile l'engagement de réformes
économiques et financières capables de promouvoir
la croissance et de mobiliser la communauté internationale.
Le respect de règles juridiques claires, un droit des affaires
adapté, une gestion améliorée des collectivités
locales, un environnement plus sûr pour les entreprises
assurent et multiplient les capacités d'initiatives, à
condition de s'attaquer en même temps à la formation,
la formation des femmes et des hommes, de préparer la jeunesse
à son avenir, et cet avenir pourrait-il lui sourire à
cette jeunesse, s'il était celui de l'épanouissement,
de la liberté et de la pleine responsabilité. Cet
accompagnement indispensable ne réussira, chacun l'admet,
que s'il est soutenu par les pays plus fortunés, plus riches
; nous y travaillons.
Mais, je crois pouvoir le dire, trop de distorsions existent dans
l'effort de solidarité. Trop de pays industrialisés
ne consacrent qu'une part dérisoire de leurs richesses
à l'aide et au développement et continuent de refuser
tout engagement chiffré. Ce n'est pas le cas des pays de
la communauté francophone qui comptent, quant à
eux, parmi les plus disponibles et les plus ouverts à cette
solidarité active. La France, de son côté,
demeure, je dois le dire, la première du monde de ces grands
pays industriels pour sa part d'aide publique au développement.
Eh bien, veillons à la mise en oeuvre effective et rapide
des orientations retenues au Sommet de Londres, - Sommet de Londres
qui était celui des sept grands pays industrialisés
-, car ses orientations devraient se traduire par un allégement
de la dette des plus pauvres de 50% à 80% au lieu d'un
tiers aujourd'hui.
Je considère que c'est un honneur pour mon pays que d'avoir
été à l'origine de toutes les mesures prises
depuis bientôt dix ans pour la réduction ou l'abolition
de la dette et pour l'organisation économique et financière
plus adaptée à la progression du Sud, sans nuire
en quoi que ce soit, au contraire, aux intérêts du
Nord. J'insiste sur cette exigence auprès de nos partenaires
et je souhaite que soit accompli un effort supplémentaire
en direction des pays dits, c'est un langage un peu obscur souvent,
"à revenus intermédiaires". Ce ne sont pas les plus
pauvres mais ils ne sont pas riches, ils ont de grands besoins,
ils sont souvent très endettés. Après avoir
aboli notre créance publique sur quelque trente-cinq pays
d'Afrique et quelques autres, nous avons, nous Français,
- je parle pour mon pays, d'autres s'exprimeront à cette
tribune et auront à dire des choses extrêmement positives
-, décidé pour quatre autres pays à revenus
intermédiaires de les associer à ceux que nous avons
décidé de soutenir sans réserve et nous aimerions
aller plus loin mais encore faut-il que l'effort soit élargi
à ceux qui, avec nous, représentent aujourd'hui
les plus riches.
Je pense que, vraiment, les pays créanciers doivent offrir
la possibilité aussi de convertir la dette en actions de
toutes sortes en faveur de la santé, de l'alphabétisation,
de la protection de l'environnement, pour ne citer que quelques
tâches majeures.
Ces ressources nouvelles, il faut bien sûr les rechercher
aussi quand elles existent dans les pays en développement
eux-mêmes et nombreux sont ceux qui sont loin de manquer
de ressources, que dis-je, qui disposent de ressources naturelles
considérables et de véritables ressources humaines
qui simplement ne sont pas exploitées, mises en valeur
au service de tous autant qu'il conviendrait, faute de moyens
au point de départ. Sinon, comment attirerait-on des investissements
étrangers là où les capitaux nationaux ne
peuvent s'investir ; d'où l'importance de mesures favorables
partout à l'épargne locale et à son investissement
sur place. Eh bien, sur toutes ces questions, mesdames et messieurs,
je souhaite que nous puissions approfondir notre réflexion
commune et c'est pourquoi je suis très sensible à
votre présence pour ces jours de rencontres, de discussions
et de travail. De chaque expérience doit naître un
profit pour tous.
Encore faut-il que ces expériences soient communiquées
à l'ensemble. Nous parlons tous la même langue, nous
pouvons nous comprendre immédiatement, sans interprète,
la communication est donc directe, quelle économie de moyens
surtout pour l'intelligence et la compréhension ! Nous
approchons les mêmes modes de culture, encore une commodité
qui nous permet mieux que d'autres, je pense, d'appréhender
les difficiles problèmes du jour.
En ouvrant la séance inaugurale de notre quatrième
Sommet considérons le chemin parcouru. Nous n'avons pas
seulement échangé nos points de vue sur tous les
problèmes, sur la surface de la planète et nous
le ferons encore cet après-midi. Nous avons appris en certaines
grandes circonstances à parler d'une seule voix sur la
scène internationale.
Par exemple, nos ministres de l'environnement ont pu, lors de
leur conférence à Tunis en avril dernier, élaborer
une stratégie commune en vue de la conférence des
Nations unies sur l'environnement et le développement prévue
à Rio de Janeiro en juin 1992. Nous travaillerons à
renforcer cette solidarité. La réforme institutionnelle
pour nous-mêmes, que nous nous apprêtons à
adopter y aidera. Je pense à la mise en place d'une conférence
ministérielle annuelle, unique, d'un conseil permanent
de la francophonie, lequel constituera la pièce maîtresse
de notre nouvel édifice. L'Agence de Coopération
culturelle et technique, l'ACCT - vous retrouverez souvent cet
énoncé, ce sigle - lui fournira la logistique et
l'expertise des comités de programme l'éclairera
de leurs avis.
Conformément aux priorités définies, arrêtées
à Dakar, je suis heureux de constater la réalité
de notre coopération pour le développement qui se
traduit par un plan quinquennal nourri d'actions concrètes
et je n'ai pas besoin de souligner l'importance politique des
programmes de coopération juridique et judiciaire. Voilà
une action exemplaire, elle a été conduite, poursuivons
la. Quant à l'éducation, force est de reconnaître
que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur
des espérances et des enjeux.
Je salue de belles réussites, je vais en signaler d'exceptionnelles
à tous égards, celle de l'université d'Alexandrie
que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec le Président Diouf
et le Président Moubarak en particulier. La France est
toute disposée à apporter un soutien accru à
deux grands établissements africains pour qu'ils deviennent
des établissements supérieurs francophones à
vocation régionale, l'institut de Saint-Louis au Sénégal,
l'Institut de recherches agronomiques de Côte-d'Ivoire à
Adiopodoumé.
De manière plus générale il conviendra d'accorder
une plus grande attention à l'alphabétisation et
à la formation professionnelle, d'inventer de nouvelles
méthodes d'apprentissage en nous appuyant davantage sur
les techniques modernes. A cet égard, la création
du centre international de formation à distance me semble
prometteuse. Mon pays qui dispose d'une bonne expérience,
précisément avec le programme Olympus, avec le travail
du centre national d'enseignement à distance, contribuera
à la mise en place progressive d'une véritable université
audiovisuelle francophone, qui utilisera les satellites, rayonnera
à la fois sur les continents d'Europe et d'Afrique. Les
réalisations de ce que l'on appelle AUPELF-UREF pour la
recherche universitaire justifient, je le crois vraiment, la confiance
que nous avons mise en oeuvre lors de notre dernière rencontre
de Dakar.
Quant à la communication, elle joue, évidemment,
là comme ailleurs, un rôle déterminant. Les
francophones sauront se donner les moyens de se faire entendre.
Jamais la liberté ne naîtra de l'uniformité.
Nous nous sommes engagés très fortement en faveur
de la diffusion en Afrique des programmes de TV5 Europe, enrichis
d'émissions en provenance du Sud. Cela préfigure
l'émergence d'une véritable chaîne régionale
africaine. Car c'est de cela aussi que l'Afrique à besoin
: disposer d'un outil qui lui soit propre, qui exprime sa vision
du continent d'abord et de la marche du monde, qui témoigne
de sa créativité maintenue, renouvelée et
toujours enrichie.
La France, de son côté, va renforcer considérablement
sa participation au fonds de soutien de l'agence de coopération
technique et encouragera de la sorte la production d'images du
Sud en fédérant notamment, les aides existantes,
en créant une fondation "Ecrans du Sud" qui associera des
professionnels originaires des pays du Sud. Une coopération
pourra alors s'instaurer entre cette fondation et l'Agence.
Enfin d'autres secteurs qui touchent à la vie quotidienne
méritent notre attention. Les endémies dont souffre
le continent africain, le sida, bien d'autres affections à
la santé des hommes, représentent tant de douleurs,
mais aussi de défaites économiques, que nous avons
le devoir de les réduire, de tout faire pour les guérir.
Plusieurs initiatives ont été prises. Le ministère
français de la coopération a décidé
de faire de 1992 l'année de la santé. Un grand colloque
sur les technologies médicales sera organisé à
la Villette. Des médecins français élaborent
d'importants projets comme l'Institut francophone pour le développement
de l'éducation sanitaire.
Il nous a fallu, au cours de ces quelques années, éprouver
nos méthodes de travail. Nous sommes, je le pense, sur
la bonne voie. Je souhaite que nous puissions aller plus loin,
afin de mieux affirmer la responsabilité politique des
Sommets. Soyons clairs ! En décidant tous ensemble des
grandes lignes de notre coopération, il faut que nous évitions
le saupoudrage des crédits, finalement peu efficace, pour
mieux concentrer nos moyens sur les programmes essentiels que
nous avons la charge précisément de définir.
A Dakar, nous avions déjà affirmé cette volonté,
nous avons avancé. La francophonie d'autre part ne se limite
pas à un dialogue entre les Etats. Elle doit dépasser
les bureaucraties, entraîner la participation des collectivités
décentralisées, de tous ceux qui veulent faire bouger
partout les choses.
Pour aider ce mouvement, un statut des organisations non gouvernementales
permettra de mieux organiser leurs relations avec nos instances,
cela devient urgent. Le cadre multilatéral dans lequel
nous travaillons, permet aussi de favoriser les échanges
sud-sud et de réaliser les projets qui intéressent
plusieurs pays voisins. Ainsi la francophonie apporte son concours
à l'émergence d'entités régionales
dont les dimensions répondront aux exigences de la modernité.
Exemple concret : la création de centres régionaux
d'enseignement spécialisé en agriculture, l'installation
à Hanoï d'un institut d'informatique, demain, d'une
cinémathèque africaine à Ouagadougou. Le
fonds multilatéral unique que nous créons procède
de la même volonté. En regroupant des crédits
jusqu'à présent liés, il facilitera ces opérations.
Au cours de cet exposé d'ouverture qui en précédera
quelques autres, j'ai voulu non seulement rappeler l'esprit de
la francophonie, son intérêt et son utilité,
mais aussi énumérer, citer comme cela au passage,
un certain nombre de réalisations qui montreront qu'en
l'espace de peu de temps, une rude besogne a été
accomplie par ceux qui en avaient la charge.
Qu'est-ce que vous voulez, la francophonie, vous la vivez ! Ce
sont des exemples vécus, de lents cheminements, une aventure
que nous avons choisie de partager. Nos mondes sont différents,
les continents, la géographie, nos histoires ne se ressemblent
pas. Car, si nous sommes réunis par et autour de la francophonie,
la francophonie ce n'est pas le français, même si
nous avons l'orgueil de penser que c'est le tronc à partir
duquel s'est constitué ce vaste front de cultures diverses.
Mais c'est aussi la présence conjuguée, l'échange,
le langage qui se diversifie, qui s'enrichit au passage, grâce
à la francophonie. Elle est composée du français
mais aussi de bien des aspects, de bien des usages et de bien
des expressions de modes de pensée de votre propre langue
originelle, que dis-je, de vos langues qui ont le plus grand besoin
souvent d'une langue véhiculaire. Et puis, les uns sont
plus riches, les autres sont plus pauvres, ou pratiquant des religions
souvent différentes, nos modes d'expression, nos intérêts
immédiats sont parfois opposés, faisons en sorte
qu'ils se découvrent complémentaires. C'est une
ambition difficile à réaliser, en tout cas sans
votre concours elle serait impossible. Que ces différences,
loin de nous séparer, nous rassemblent. Voyez ce que nous
sommes ce matin dans cette salle, au point de départ d'une
vaste confrontation entre quarante-sept pays répartis sur
tous les continents !
Voyez ce que nous sommes ! Nous nous sentons déjà
appartenir au même creuset, nos origines parfois se confondent,
nous nous prêtons assistance, nous sommes amis, dans un
monde où tant de querelles, parfois de guerres, en tout
cas de dissentiments, occupent le devant de la scène. Nous,
nous sommes là ! Nous discutons d'intérêts
qui nous sont communs, dans une langue qui nous est commune, et
nous construisons une histoire qui deviendra, plus encore qu'elle
ne le fut commune, ayant conscience du rôle que nous sommes
appelés à jouer. Il existe peu de communautés
de cette sorte, il pourrait en exister combien ? Deux, trois autres
! Nous avons pris une belle cadence, ne la perdons pas et cherchons
au cours de ces journées à nourrir le contenu d'un
vaste programme, celui de la francophonie qui nous vaut, et je
répète ma fierté, votre présence à
vous tous à Paris.
Je vais maintenant vous souhaiter un bon travail, en vous disant
la joie que j'aurai, pendant les heures prochaines, à vous
rencontrer de nouveau. Merci !
ã Présidence de la République - Service photographique.
19 novembre 1991 - Sommet de Paris.
Photographie de famille dans la salle des fêtes du Palais
de l'Elysée
ALLOCUTION DE
MONSIEUR FRANÇOIS MITTERRAND
PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
A L'OCCASION DU 4EME SOMMET
DE LA FRANCOPHONIE
Palais de Chaillot - Paris - Mardi 19 novembre 1991
Mesdames et messieurs.
Je vous accueille au nom de la France. Je le fais avec joie et
fierté comme il y a cinq ans lors du premier sommet de
Paris.
J'adresse au Président Diouf nos chaleureux remerciements.
Le travail effectué depuis Dakar a été considérable
et c'est surtout à lui qu'on le doit. Depuis 1986, à
chacune de nos rencontres, de nouveaux pays nous rejoignent pour
partager l'ambition francophone. Nous étions quarante et
un la première fois, nous sommes quarante-sept aujourd'hui.
L'espace francophone se déploie sur tous les continents,
retrouve des solidarités anciennes, appelle des amitiés,
marque le sentiment qu'un destin se partage aussi. Quand le monde
s'interroge dans des bouleversements où l'espérance
se mêle à l'inquiétude, chacun éprouve
plus intensément l'urgence et la nécessité
de se retrouver.
De tous les horizons, nous entendons le même appel quand
s'effondre l'ordre terrible - mais l'ordre quand même -
sur lequel la société internationale était
fondée depuis la Seconde guerre mondiale. A l'est de l'Europe,
la liberté a repris ses droits avec vigueur, les nations
vivent leur indépendance. Des minorités s'expriment,
des peuples souvent chargés d'histoire veulent compter
à leur tour et parfois de nouveau. Il est de notre devoir
de répondre à leur attente. Tout au long des années
de plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la langue
française. Sorte d'espérance à tenir, de
liberté à préserver, avec le sentiment tenace
qu'un jour ils retrouveraient les nations libres qui parlent la
même langue. Tel est le sens, je pense, de l'arrivée
parmi nous de la Bulgarie et de la Roumanie, que je salue, bien
entendu, en votre nom. Les valeurs issues de ce qu'on appelait
les "Lumières" l'emportent en Europe, dans cette Europe
qui leur avait si hardiment donné naissance. Si l'on parle
du Cambodge, comment ne pas se réjouir de le revoir parmi
nous après une longue absence marquée par tant de
souffrances et d'horreur. Il y a à peine un mois, j'ouvrais
à Paris la Conférence de Paix qui a permis aux Cambodgiens
de mettre fin à leur déchirement, de sceller leur
réconciliation. Faut-il insister sur le rôle du prince
Sihanouk qui était déjà il y a trente ans
aux côtés du Président Senghor et du Président
Diori Hamani pour souhaiter la création d'une communauté
d'expression française et inspirer ainsi nos premiers choix.
Je salue également le Cameroun et le Laos qui, hier observateurs,
ont résolu de s'associer pleinement à nos travaux.
La présence du Président Hraoui signifie aussi que
le Liban en marche, je l'espère, vers la réconciliation
de ses citoyens retrouve la place qui lui est due dans la reconquête
de sa souveraineté, indispensable pour lui comme pour tout
autre.
Je les salue de la même façon pour que l'on sache
bien que tous ceux qui nous ont rejoints sont parmi nous les bienvenus.
La francophonie est un lieu d'accueil. Notamment pour tous ceux
qui, coupés de l'héritage commun, veulent reconquérir
cette part de leur identité.
Or, il n'est de véritable identité que fondée
sur la culture, vous le savez bien. A ceux qui refusent la tentation
du repli sur soi, nous pouvons exprimer notre message universel.
Riche d'un grand passé de tradition, et aussi de sa diversité,
la francophonie est, et doit être, un espace de création.
Fière de ses réussites technologiques qui ne sont
pas minces, ouverte à la liberté de rechercher et
d'entreprendre, elle est et elle doit être un espace de
développement.
Mêlée de civilisations multiples elle est, ou elle
doit être, attentive aux justes exigences de tous et d'abord
de ceux qu'on appelle les pays du Sud, d'une large part du tiers
monde qui souffre, vous le savez, et qui mérite l'Internationale
de la Solidarité.
Les mutations que connaît la société ne nous
concernent pas seulement parce qu'elles modifient les frontières
de l'univers francophone, ce qui est fort heureux, elles font
aussi sentir leurs effets au coeur même de cet univers comme
en témoignent les problèmes auxquels l'Afrique est
confrontée. Nombre de pays africains se sont engagés
dans un vaste mouvement de réformes démocratiques.
Chacun saura, j'en suis convaincu, fixer en toute indépendance
les modalités et le rythme qui conviennent dès lors
que la direction est prise.
La France soutient, faut-il le répéter, cette évolution
qu'elle croit nécessaire parce qu'elle croit aussi en la
valeur universelle de la démocratie. En améliorant
la transparence du fonctionnement de l'Etat, la démocratie,
j'en suis sûr, rend plus facile l'engagement de réformes
économiques et financières capables de promouvoir
la croissance et de mobiliser la communauté internationale.
Le respect de règles juridiques claires, un droit des affaires
adapté, une gestion améliorée des collectivités
locales, un environnement plus sûr pour les entreprises
assurent et multiplient les capacités d'initiatives, à
condition de s'attaquer en même temps à la formation,
la formation des femmes et des hommes, de préparer la jeunesse
à son avenir, et cet avenir pourrait-il lui sourire à
cette jeunesse, s'il était celui de l'épanouissement,
de la liberté et de la pleine responsabilité. Cet
accompagnement indispensable ne réussira, chacun l'admet,
que s'il est soutenu par les pays plus fortunés, plus riches
; nous y travaillons.
Mais, je crois pouvoir le dire, trop de distorsions existent dans
l'effort de solidarité. Trop de pays industrialisés
ne consacrent qu'une part dérisoire de leurs richesses
à l'aide et au développement et continuent de refuser
tout engagement chiffré. Ce n'est pas le cas des pays de
la communauté francophone qui comptent, quant à
eux, parmi les plus disponibles et les plus ouverts à cette
solidarité active. La France, de son côté,
demeure, je dois le dire, la première du monde de ces grands
pays industriels pour sa part d'aide publique au développement.
Eh bien, veillons à la mise en oeuvre effective et rapide
des orientations retenues au Sommet de Londres, - Sommet de Londres
qui était celui des sept grands pays industrialisés
-, car ses orientations devraient se traduire par un allégement
de la dette des plus pauvres de 50% à 80% au lieu d'un
tiers aujourd'hui.
Je considère que c'est un honneur pour mon pays que d'avoir
été à l'origine de toutes les mesures prises
depuis bientôt dix ans pour la réduction ou l'abolition
de la dette et pour l'organisation économique et financière
plus adaptée à la progression du Sud, sans nuire
en quoi que ce soit, au contraire, aux intérêts du
Nord. J'insiste sur cette exigence auprès de nos partenaires
et je souhaite que soit accompli un effort supplémentaire
en direction des pays dits, c'est un langage un peu obscur souvent,
"à revenus intermédiaires". Ce ne sont pas les plus
pauvres mais ils ne sont pas riches, ils ont de grands besoins,
ils sont souvent très endettés. Après avoir
aboli notre créance publique sur quelque trente-cinq pays
d'Afrique et quelques autres, nous avons, nous Français,
- je parle pour mon pays, d'autres s'exprimeront à cette
tribune et auront à dire des choses extrêmement positives
-, décidé pour quatre autres pays à revenus
intermédiaires de les associer à ceux que nous avons
décidé de soutenir sans réserve et nous aimerions
aller plus loin mais encore faut-il que l'effort soit élargi
à ceux qui, avec nous, représentent aujourd'hui
les plus riches.
Je pense que, vraiment, les pays créanciers doivent offrir
la possibilité aussi de convertir la dette en actions de
toutes sortes en faveur de la santé, de l'alphabétisation,
de la protection de l'environnement, pour ne citer que quelques
tâches majeures.
Ces ressources nouvelles, il faut bien sûr les rechercher
aussi quand elles existent dans les pays en développement
eux-mêmes et nombreux sont ceux qui sont loin de manquer
de ressources, que dis-je, qui disposent de ressources naturelles
considérables et de véritables ressources humaines
qui simplement ne sont pas exploitées, mises en valeur
au service de tous autant qu'il conviendrait, faute de moyens
au point de départ. Sinon, comment attirerait-on des investissements
étrangers là où les capitaux nationaux ne
peuvent s'investir ; d'où l'importance de mesures favorables
partout à l'épargne locale et à son investissement
sur place. Eh bien, sur toutes ces questions, mesdames et messieurs,
je souhaite que nous puissions approfondir notre réflexion
commune et c'est pourquoi je suis très sensible à
votre présence pour ces jours de rencontres, de discussions
et de travail. De chaque expérience doit naître un
profit pour tous.
Encore faut-il que ces expériences soient communiquées
à l'ensemble. Nous parlons tous la même langue, nous
pouvons nous comprendre immédiatement, sans interprète,
la communication est donc directe, quelle économie de moyens
surtout pour l'intelligence et la compréhension ! Nous
approchons les mêmes modes de culture, encore une commodité
qui nous permet mieux que d'autres, je pense, d'appréhender
les difficiles problèmes du jour.
En ouvrant la séance inaugurale de notre quatrième
Sommet considérons le chemin parcouru. Nous n'avons pas
seulement échangé nos points de vue sur tous les
problèmes, sur la surface de la planète et nous
le ferons encore cet après-midi. Nous avons appris en certaines
grandes circonstances à parler d'une seule voix sur la
scène internationale.
Par exemple, nos ministres de l'environnement ont pu, lors de
leur conférence à Tunis en avril dernier, élaborer
une stratégie commune en vue de la conférence des
Nations unies sur l'environnement et le développement prévue
à Rio de Janeiro en juin 1992. Nous travaillerons à
renforcer cette solidarité. La réforme institutionnelle
pour nous-mêmes, que nous nous apprêtons à
adopter y aidera. Je pense à la mise en place d'une conférence
ministérielle annuelle, unique, d'un conseil permanent
de la francophonie, lequel constituera la pièce maîtresse
de notre nouvel édifice. L'Agence de Coopération
culturelle et technique, l'ACCT - vous retrouverez souvent cet
énoncé, ce sigle - lui fournira la logistique et
l'expertise des comités de programme l'éclairera
de leurs avis.
Conformément aux priorités définies, arrêtées
à Dakar, je suis heureux de constater la réalité
de notre coopération pour le développement qui se
traduit par un plan quinquennal nourri d'actions concrètes
et je n'ai pas besoin de souligner l'importance politique des
programmes de coopération juridique et judiciaire. Voilà
une action exemplaire, elle a été conduite, poursuivons
la. Quant à l'éducation, force est de reconnaître
que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur
des espérances et des enjeux.
Je salue de belles réussites, je vais en signaler d'exceptionnelles
à tous égards, celle de l'université d'Alexandrie
que j'ai eu l'honneur d'inaugurer avec le Président Diouf
et le Président Moubarak en particulier. La France est
toute disposée à apporter un soutien accru à
deux grands établissements africains pour qu'ils deviennent
des établissements supérieurs francophones à
vocation régionale, l'institut de Saint-Louis au Sénégal,
l'Institut de recherches agronomiques de Côte-d'Ivoire à
Adiopodoumé.
De manière plus générale il conviendra d'accorder
une plus grande attention à l'alphabétisation et
à la formation professionnelle, d'inventer de nouvelles
méthodes d'apprentissage en nous appuyant davantage sur
les techniques modernes. A cet égard, la création
du centre international de formation à distance me semble
prometteuse. Mon pays qui dispose d'une bonne expérience,
précisément avec le programme Olympus, avec le travail
du centre national d'enseignement à distance, contribuera
à la mise en place progressive d'une véritable université
audiovisuelle francophone, qui utilisera les satellites, rayonnera
à la fois sur les continents d'Europe et d'Afrique. Les
réalisations de ce que l'on appelle AUPELF-UREF pour la
recherche universitaire justifient, je le crois vraiment, la confiance
que nous avons mise en oeuvre lors de notre dernière rencontre
de Dakar.
Quant à la communication, elle joue, évidemment,
là comme ailleurs, un rôle déterminant. Les
francophones sauront se donner les moyens de se faire entendre.
Jamais la liberté ne naîtra de l'uniformité.
Nous nous sommes engagés très fortement en faveur
de la diffusion en Afrique des programmes de TV5 Europe, enrichis
d'émissions en provenance du Sud. Cela préfigure
l'émergence d'une véritable chaîne régionale
africaine. Car c'est de cela aussi que l'Afrique à besoin
: disposer d'un outil qui lui soit propre, qui exprime sa vision
du continent d'abord et de la marche du monde, qui témoigne
de sa créativité maintenue, renouvelée et
toujours enrichie.
La France, de son côté, va renforcer considérablement
sa participation au fonds de soutien de l'agence de coopération
technique et encouragera de la sorte la production d'images du
Sud en fédérant notamment, les aides existantes,
en créant une fondation "Ecrans du Sud" qui associera des
professionnels originaires des pays du Sud. Une coopération
pourra alors s'instaurer entre cette fondation et l'Agence.
Enfin d'autres secteurs qui touchent à la vie quotidienne
méritent notre attention. Les endémies dont souffre
le continent africain, le sida, bien d'autres affections à
la santé des hommes, représentent tant de douleurs,
mais aussi de défaites économiques, que nous avons
le devoir de les réduire, de tout faire pour les guérir.
Plusieurs initiatives ont été prises. Le ministère
français de la coopération a décidé
de faire de 1992 l'année de la santé. Un grand colloque
sur les technologies médicales sera organisé à
la Villette. Des médecins français élaborent
d'importants projets comme l'Institut francophone pour le développement
de l'éducation sanitaire.
Il nous a fallu, au cours de ces quelques années, éprouver
nos méthodes de travail. Nous sommes, je le pense, sur
la bonne voie. Je souhaite que nous puissions aller plus loin,
afin de mieux affirmer la responsabilité politique des
Sommets. Soyons clairs ! En décidant tous ensemble des
grandes lignes de notre coopération, il faut que nous évitions
le saupoudrage des crédits, finalement peu efficace, pour
mieux concentrer nos moyens sur les programmes essentiels que
nous avons la charge précisément de définir.
A Dakar, nous avions déjà affirmé cette volonté,
nous avons avancé. La francophonie d'autre part ne se limite
pas à un dialogue entre les Etats. Elle doit dépasser
les bureaucraties, entraîner la participation des collectivités
décentralisées, de tous ceux qui veulent faire bouger
partout les choses.
Pour aider ce mouvement, un statut des organisations non gouvernementales
permettra de mieux organiser leurs relations avec nos instances,
cela devient urgent. Le cadre multilatéral dans lequel
nous travaillons, permet aussi de favoriser les échanges
sud-sud et de réaliser les projets qui intéressent
plusieurs pays voisins. Ainsi la francophonie apporte son concours
à l'émergence d'entités régionales
dont les dimensions répondront aux exigences de la modernité.
Exemple concret : la création de centres régionaux
d'enseignement spécialisé en agriculture, l'installation
à Hanoï d'un institut d'informatique, demain, d'une
cinémathèque africaine à Ouagadougou. Le
fonds multilatéral unique que nous créons procède
de la même volonté. En regroupant des crédits
jusqu'à présent liés, il facilitera ces opérations.
Au cours de cet exposé d'ouverture qui en précédera
quelques autres, j'ai voulu non seulement rappeler l'esprit de
la francophonie, son intérêt et son utilité,
mais aussi énumérer, citer comme cela au passage,
un certain nombre de réalisations qui montreront qu'en
l'espace de peu de temps, une rude besogne a été
accomplie par ceux qui en avaient la charge.
Qu'est-ce que vous voulez, la francophonie, vous la vivez ! Ce
sont des exemples vécus, de lents cheminements, une aventure
que nous avons choisie de partager. Nos mondes sont différents,
les continents, la géographie, nos histoires ne se ressemblent
pas. Car, si nous sommes réunis par et autour de la francophonie,
la francophonie ce n'est pas le français, même si
nous avons l'orgueil de penser que c'est le tronc à partir
duquel s'est constitué ce vaste front de cultures diverses.
Mais c'est aussi la présence conjuguée, l'échange,
le langage qui se diversifie, qui s'enrichit au passage, grâce
à la francophonie. Elle est composée du français
mais aussi de bien des aspects, de bien des usages et de bien
des expressions de modes de pensée de votre propre langue
originelle, que dis-je, de vos langues qui ont le plus grand besoin
souvent d'une langue véhiculaire. Et puis, les uns sont
plus riches, les autres sont plus pauvres, ou pratiquant des religions
souvent différentes, nos modes d'expression, nos intérêts
immédiats sont parfois opposés, faisons en sorte
qu'ils se découvrent complémentaires. C'est une
ambition difficile à réaliser, en tout cas sans
votre concours elle serait impossible. Que ces différences,
loin de nous séparer, nous rassemblent. Voyez ce que nous
sommes ce matin dans cette salle, au point de départ d'une
vaste confrontation entre quarante-sept pays répartis sur
tous les continents !
Voyez ce que nous sommes ! Nous nous sentons déjà
appartenir au même creuset, nos origines parfois se confondent,
nous nous prêtons assistance, nous sommes amis, dans un
monde où tant de querelles, parfois de guerres, en tout
cas de dissentiments, occupent le devant de la scène. Nous,
nous sommes là ! Nous discutons d'intérêts
qui nous sont communs, dans une langue qui nous est commune, et
nous construisons une histoire qui deviendra, plus encore qu'elle
ne le fut commune, ayant conscience du rôle que nous sommes
appelés à jouer. Il existe peu de communautés
de cette sorte, il pourrait en exister combien ? Deux, trois autres
! Nous avons pris une belle cadence, ne la perdons pas et cherchons
au cours de ces journées à nourrir le contenu d'un
vaste programme, celui de la francophonie qui nous vaut, et je
répète ma fierté, votre présence à
vous tous à Paris.
Je vais maintenant vous souhaiter un bon travail, en vous disant
la joie que j'aurai, pendant les heures prochaines, à vous
rencontrer de nouveau. Merci !